Docteur Jacques Parier - Médecin du sport à Paris

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Geoffroy Nourissat

RENCONTRE JACQUES PARIER : interview de Geoffroy Nourissat pour Maitrise Orthopédique.

M.O. : Jacques Parier d’où vient votre passion pour le tennis ?

J.P. : Tout simplement parce que mon père m’a amené très jeune sur les terrains. J’ai passé pratiquement toute mon enfance et une partie de l’adolescence dans les clubs de tennis où nous arrivions souvent dès 8 h du matin. Les parties étaient entrecoupées de ping-pong ou de pêche aux écrevisses. Nous passions nos journées au club, le CS Marne, sur le bord de la Marne à La Varenne. Mon père avait cette passion du tennis qu’il m’a communiquée. J’ai gardé depuis toujours ce plaisir, à fréquenter, à soigner des joueurs  et à pratiquer ou regarder ce sport. J’ai eu l’occasion de m’impliquer dans d’autres sports comme le rugby, le football, mais je n’ai jamais eu cette flamme que je peux ressentir dans le tennis.

M.O. : Comment se retrouve-t-on des bords de Marne à Roland Garros ?

J.P. : C’est un cheminement qui est un peu long ! Il y a eu d’abord un parcours professionnel avec des étapes pour pouvoir arriver en tant que médecin à Roland Garros, qui représentait le rêve absolu pour le joueur et le médecin. Très tôt j’ai pu enseigner le tennis et j’ai souhaité, pendant un temps, faire de mon métier une association de tennis et de médecine mais assez rapidement, je me suis rendu compte, que ce n’était pas possible.
Dans cette vie j’ai eu la chance de rencontrer un grand nombre d’hommes et de femmes, et parmi eux certains  m’ont permis de franchir des étapes et d’aller dans le sens qui m’attirait. Sur le plan scolaire, j’étais loin d’être un élève exceptionnel. Peut-être un peu meilleur au tennis que dans les études, mais pas suffisamment bon pour être un grand joueur donc il me fallait quand même faire des études. Dans les années 66-68, j’ai fait des études de kinésithérapie ; bizarrement j’adorais l’anatomie et la physiologie articulaire. A l’époque mon père souhaitait que j’aie en poche le plus possible de diplômes. Il a donc essayé de me faire faire en même temps le professorat de natation, le certificat de professeur d’éducation physique, et le monitorat de tennis. J’ai échoué pour les deux premiers, et pour le troisième j’ai passé mon monitorat dans les années 70.  Ce diplôme en poche était quelque chose qui me plaisait et que mon père souhaitait ardemment. Après kinésithérapie, grâce au tennis j’ai payé mes études car même si j’étais plutôt un enfant bourgeois, mon père insistait pour que je sois financièrement indépendant. Cela a bien fonctionné pendant une quinzaine d’années. Quand j’ai rencontré mon épouse à la faculté de médecine, fac que j’ai fréquentée juste après la kinésithérapie, nous nous étions répartis les tâches : j’allais jouer au tennis et elle allait aux cours. J’essayais de façon peut-être moins brillante qu’elle, de les apprendre et de passer les examens. Le système n’a pas trop mal fonctionné. Progressivement, le travail étudiant devenant plus prenant cela devenait difficile de consacrer autant de temps au tennis. J’ai progressivement abandonné les cours de tennis pour me consacrer à la médecine mais en essayant de me rapprocher de cette spécialité du sport qui m’attirait. Apres médecine je me suis inscrit en rhumatologie pendant ………une dizaine de jours. J’étais un peu plus âgé que les autres puisque j’avais fait kinésithérapie auparavant, et j’ai été confronté à un jeune agrégé blondinet de rhumatologie, très agressif qui nous a expliqué que nous étions les plus nuls des nuls puisque nous passions derrière les agrégés, les chefs de cliniques, les internes, et les externes. Nous n’étions que des CES. Je me suis rapidement échappé de la rhumatologie pour m’inscrire en Médecine Physique. j’ai apprécié cette formation assez vaste qui touchait à de nombreuses disciplines : la cardiologie, la pneumologie, la neurologie et puis l’orthopédie. C’est l’époque de ma rencontre avec Yves Demarais qui était à cette période le médecin du Paris Saint-Germain, « une figure », avec de nombreuses relations dans le monde du sport. Au cours d’un diner qui rassemblait des rugbymen dont il faisait partie, et des tennismen dont je faisais partie,  il m’a proposé  un poste au dispensaire du Racing que j’ai intégré dès 72. J’ai travaillé côte à côte avec lui pendant un ou deux ans. Il me semble que l’on devait être payé 5 francs de la vacation. Là j’ai compris quel était mon niveau, c’est-à-dire que je ne savais strictement rien. Cette rencontre m’a permis de prendre conscience de ce qui me passionnait. J’ai pu très vite approcher, grâce à lui, le milieu du Paris Saint-Germain où je l’ai remplacé pendant les vacances, quand j’étais devenu un peu plus aguerri. Les clubs de football reprenaient assez tôt dans la saison, donc au mois d’août souvent c’était moi qui étais de permanence durant ses vacances. J’ai travaillé avec lui pendant quelques années avec beaucoup de plaisir, puis nous nous sommes associés. Il m’a entrainé à l’Institut National des Sports formidable « bouillon de culture ». J’étais rentré  dans le grand bain. Un peu plus tard j’ai rencontré Jean Pierre Cousteau et Bernard Montalvan qui m’ont fait pénétrer dans le staff médical de Roland Garros où je suis toujours.

M.O. : Quelle est la spécificité de la médecine physique par rapport à la Rhumatologie ou à la Médecine du Sport classique ?

J.P. : La Médecine Physique, qui s’appelait Médecine de Rééducation et de Réadaptation fonctionnelle forme les médecins pour réadapter les gens à la fonction dans toutes ses acceptations. Cela est sans doute sa spécificité. C’est l’hémiplégique que l’on remet dans le circuit, c’est l’insuffisant respiratoire que l’on va essayer de drainer, c’est la fracture, le polytraumatisé orthopédique ou bien les pathologies plus simples comme la prothèse de hanche qu’on fait remarcher, c’est l’infarctus du myocarde qui retrouve son autonomie…… J’avais à un moment été attiré, j’ai fait mon mémoire de CES sur ce sujet, par le problème de l’incontinence urinaire d’effort chez la femme. Dans une clinique ou j’ai remplacé un temps,  un urologue  me confiait «  je n’en peux plus d’opérer toutes ces femmes, il faut que tu me trouves quelque chose ». Je n’ai bien entendu rien inventé, mais j’ai essayé de développer des techniques de réadaptation du périnée. Mon mémoire  a été fait à la Pitié-Salpêtrière sous la houlette du Professeur Perrigot, un pionnier de cette pathologie. J’ai commencé à pratiquer ce type de rééducation mais très vite je me suis rendu compte que j’étais bien davantage attiré par l’orthopédie.
A l’intérieur cette médecine physique coexiste un certain nombre d’orientations. D’abord un courant vers les Centres puisque ce sont souvent les médecins physiques qui en sont responsables dans différentes disciplines.  A l’époque il y avait également un courant regroupant des médecins fort dynamiques qui s’appelaient : Rodineau, Durey, et de plus jeunes Krzentowski,  Courroy….Ils s’étaient spécialisés dans la médecine du sport de l’appareil locomoteur alliant de solides connaissances d’anatomie, biomécanique, clinique, gestes sportifs… Tout de suite je me suis senti à l’aise dans ce courant,  j’ai pu facilement sympathiser avec ces leaders et nous avons pu travailler de façon très agréable avec l’impression excitante de défricher un territoire peu exploré.

M.O. : C’est en même temps que le courant arthroscopique s’est branché?

J.P. : Je suis allé aux Etats-Unis en 1980 où j’ai croisé le médecin physique qui s’occupait de l’équipe de France d’athlétisme, Roland Krzentowski. Il parlait bien anglais, avait un grand nombre de contacts, et j’ai assisté avec lui assister à des arthroscopies au bloc  dans un hôpital de Los Angeles avec l’impression de découvrir des innovations qui m’étaient totalement étrangères. Sous l’impulsion de Krzentowski et Sagnet, excellents communicants,  les médecins physiques, certains rhumatologues et quelques rares chirurgiens convaincus ont vu l’intérêt de cette technique et ont commencé à pratiquer ce type d’intervention. Pour ma part l’implication fut plus timide. Un soir où nous étions adversaires, puisque j’étais sur le banc du Matra Racing, et Demarais sur le banc du Paris Saint-Germain  au Parc des Princes, ce dernier  m’a convaincu de nous former à l’arthroscopie. Pour moi c’était inimaginable. Dans l’absolu c’était une évolution logique de ce que l’on faisait tous les jours : examiner des genoux. Cela nous conférait un prolongement naturel comme certains avaient pu le faire.  Je crois que c’était Lelièvre qui, rhumatologue de formation, avait initié une chirurgie du pied. Comme avait pu également  le faire Henri Dorfman, un pionnier dans le domaine de l’arthroscopie, qui était lui aussi rhumatologue. Il paraissait pour Demarais évident que nous rentrions dans cette dynamique d’autant que les chirurgiens à l’époque n’avaient pas une grande attirance pour ce type de technique. Nous avons commencé une aventure extraordinaire qui s’est produite en grande partie à Epinay où médecins, et chirurgiens se sont retrouvés dans une ambiance qui aujourd’hui serait inimaginable. Il régnait un compagnonnage très poussé puisque chacun aidait l’autre. Les plus « jeunes » lavaient les instruments, servaient d’aide opératoire commençaient à faire les voies d’abord et puis se perdaient dans le labyrinthe articulaire ou ils étaient épaulés  par les séniors en cas d’impasse. Progressivement au prix d’un travail régulier ponctué d’échanges permanents nous nous sommes formés. A un moment chacun des membres de ce groupe a voulu faire évoluer son travail. Apres un passage  à la clinique Turin, un éclatement  s’est produit dans le groupe avec en ce qui me concernait, la volonté absolue de m’insérer en milieu chirurgical en restant « à ma place ». J’ai été accueilli par le Docteur Lemaire et Combelles à la clinique des Maussins. A l’époque Lemaire, le doyen respecté, m’a intégré à son équipe et m’a témoigné des marques de confiance tout à fait étonnantes dans la mesure où très vite il m’a confié les arthroscopies qu’il estimait nécessaires et qu’il ne pratiquait  pas lui-même. Quand je suis arrivé aux Maussins un seul chirurgien, Vincent Chassaing, s’intéressait  à l’arthroscopie. Rapidement au sein de la clinique, l’arthroscopie s’est généralisée auprès de quasiment tous les praticiens. Avec Chassaing nous avons rédigé un manuel d’arthroscopie du genou en 1985.
Voilà comment cette technique a évolué de façon tout à fait insidieuse et en définitive j’ai souvent comparé ce  cheminement à celui des gastro-entérologues et de  l’endoscopie digestive. Les orthopédistes ont été beaucoup plus réactifs puisqu’ils ont compris rapidement l’intérêt que cette technique pouvait leur apporter.

M.O. : Monsieur Lemaire était je crois un personnage entier, comment ce chirurgien au fort caractère a t’il accepté qu’un médecin du sport vienne dans sa clinique et prenne une partie de ses patients ?

J.P. : D’abord, ce n’est pas comme ça qu’il faut présenter les choses.  En aucun cas, les chirurgiens et les médecins qui ont rejoint le groupe n’ont pris de patients au Docteur Lemaire. Il était la référence  et derrière lui il y avait tous les autres. Chacun a pu se faire un nom et secondairement briller, mais au départ c’était lui. Il me confiait un certain nombre de ses patients parce que c’était dans son esprit, avec un détachement financier total. Il a estimé que dans la mesure où je faisais partie des gens qui méritaient de venir dans la clinique, que je pouvais faire des arthroscopies parce que je m’étais formé que j’étais capable de le faire. C’était son rôle de leader de « m’alimenter » et de me permettre d’être le meilleur possible. Lorsqu’un  nouveau chirurgien est rentré dans le groupe du jour au lendemain, toutes ses arthroscopies se sont logiquement déplacées vers le nouveau venu. Le docteur Lemaire avait une conception de la médecine tout à fait étonnante. Si on l’appelait  au cours d’une consultation même s’il était occupé, même s’il avait un problème, il venait toujours instantanément dans votre consultation pour répondre à la question si on voulait son avis sur un patient. Il a développé un esprit que j’ai, que nous avons essayé de prolonger. On a toujours quelque chose à finir… mais lui c’était séance tenante qu’il venait pour ne pas faire perdre du temps. Pour moi dans ce domaine, entre autre, c’était un grand bonhomme. Il fourmillait d’idées qui ont été pour certaines comme la plastie externe, révolutionnaires. Ex homme de terrain, Il a développé la chirurgie musculaire et tendineuse, qu’il nous a transmise.

M.O. : La section des adducteurs c’était pourquoi ?

J.P. : Quand un footballeur présentait une tendinite des adducteurs dont on ne se sortait pas, on disait : on ne va pas couper les adducteurs quand même, il faut être fou ! Il les a sectionnés chez des sportifs qui ont pu rejouer au football, refaire du sport à un haut niveau ! Il avait  toujours des idées pratiques, audacieuses, novatrices.

M.O. : Vous avez fait quelques milliers d’arthroscopies. Aujourd’hui, le DIU d’arthroscopie est réservé aux chirurgiens, ce qui en interdira la pratique aux médecins. Qu’en pensez-vous ?

J.P. : Il est difficile de répondre de manière univoque. Cela nous a tous interpellés. J’ai  bénéficié de la formation qui précédait l’instauration du DIU. Il faut rappeler que nous avons eu deux présidents de la société française d’arthroscopie Henri Dorfman et Thierry Boyer, médecins rhumatologues, qui ont, je pense, véritablement apporté une pierre tout à fait efficace à l’édifice. Est-ce que supprimer cette possibilité de former des médecins triés sur le volet est une bonne chose, je n’en suis pas sûr. Je pense cependant qu’il s’agit d’une évolution  incontournable. Il existe sans doute un danger, celui qui m’a poussé à intégrer une équipe de chirurgiens. Je m’explique. J’ai commencé à effectuer des arthroscopies d’épaules après de longues années de genou et, mis à part l’apprentissage d’une technique difficile, je me suis rendu compte assez vite que si on voulait réaliser ces arthroscopies correctement, il fallait bénéficier d’un panel suffisamment étendu de technicité pour ne pas se cantonner à une acromioplastie, une section du ligament acromio-coracoïdien, ou retirer une calcification. Il fallait être capable de décider, parce qu’on en avait la capacité, de suturer une coiffe ou de ne pas la suturer, d’effectuer des gestes relativement invasifs pour lesquels nous n’étions pas forcement formés. Moi, j’ai reculé peut-être aussi par manque de confiance, mais j’ai estimé qu’il y avait des gestes que je n’étais pas à même de réaliser parfaitement. Concernant l’arthroscopie du genou, j’ai évolué dans un contexte très particulier puisqu’à la clinique des Maussins nous avions « un débit de genoux » absolument phénoménal, inimaginable dans n’importe quel autre lieu en France.  J’avais le confort de pouvoir choisir mes indications. C’est-à-dire que pour un certain nombre d’arthroscopies que j’aurais peut-être pu faire, j’ai estimé que je n’étais pas suffisamment armé et pas le meilleur et j’ai pu les « donner » facilement, honnêtement, sans état d’âme, à d’autres chirurgiens de l’équipe qui étaient, je l’estimais, plus affutés. Dans l’avenir, cette situation très privilégiée de pouvoir refuser d’opérer des patients serait peut-être problématique. Il y aurait certainement eu des médecins capables de réaliser des actes chirurgicaux de manière très compétente mais le nombre en aurait été restreint.

M.O. : Fort de votre expérience raisonnée dans la chirurgie méniscale, avez-vous l’impression qu’il n’y a plus d’indications en 2013 à la réalisation de méniscectomies ?

J.P. : Effectivement les indications se sont énormément modifiées. Il y a 15 ans ou 20 ans, faire une méniscectomie, c’était un acte jubilatoire pour de multiples raisons. On avait l’impression qu’on frisait la perfection, qu’on réglait un problème définitivement et donc pourquoi s’arrêter et ne pas amplifier ? Il y avait bien de temps en temps de petits signaux un peu désagréables mais globalement on allait beaucoup plus vite, les patients ne souffraient pas beaucoup, ils reprenaient le sport très rapidement. C’était vraiment une panacée. Puis il y a eu un certain nombre de couac qui se sont révélés au fur et à mesure. Il y a eu des modes.  On a vécu par exemple l’épopée de la fameuse plica. Il s’agissait d’une idée, innovante tout à fait passionnante. Dans la mesure où l’on notait un repli synovial supéro interne, vestige embryonnaire, on allait le retirer parce qu’il entrainait des douleurs de type rotuliennes et à partir de là sa section  allait guérir tous les syndromes rotuliens. Cela a duré un certain temps, personnellement pas trop mais quand même un peu trop, et on a réséqué des légions de plica pour lesquelles on s’est rendu compte quand on a commencé à faire des études un peu sérieuses que l’acte technique que l’on faisait était utile une fois sur cent. On a pratiqué la section de l’aileron externe avec le même enthousiasme. En ce qui concerne la chirurgie cartilagineuse, il y a eu toutes les techniques de débridement intra-articulaire plus ou moins bien codifiées mais qui se sont là encore rétrécies.
En ce qui concerne la chirurgie méniscale malheureusement on a pris conscience que ce n’était pas LA solution. Même si le geste était « parfaitement réalisé », de temps en temps on récupérait une nécrose du condyle, une chondrolyse rapide, une hémarthrose, une algodystrophie, des douleurs avec un syndrome rotulien secondaire…. On a commencé petit à petit à quitter la phase d’extase pour se rendre compte qu’avant l’ère de l’arthroscopie les praticiens ne se débrouillaient pas si mal que ça, et que peut-être,  on en exagérait les indications. On a recherché à ce moment-là d’autres techniques. Aujourd’hui les indications de la méniscectomie sont plus réduites parce qu’un certain nombre de pathologies méniscales ont la gentillesse de guérir spontanément, ensuite parce qu’avec un petit coup de main médical que ce soit une infiltration, de la rééducation, ou une genouillère, on permet aux patients de pratiquer des activités dans de bonnes conditions et sans qu’il y ait besoin de chirurgie. Globalement, j’ai personnellement dû diminuer de 50 % mes indications.
Le développement de la suture méniscale est intéressant. Pour ma part j’ai été très réceptif « à la faute originelle » véhiculée depuis quelques années comme quoi nous étions coupables de retirer un ménisque. Je me suis intéressé comme beaucoup à la suture méniscale mais je pense que l’on se situe dans la même dérive. Quand on en retirait trop ce n’était pas bon, en suturer trop c’est probablement aussi une erreur. Je crois savoir que les bourrelets d’épaule ou de hanche sont « en pleine voie d’expansion » actuellement. En ce qui concerne la suture méniscale, il y a surement à la fois la technique qu’il faut améliorer, mais aussi les indications qu’il faut mieux cerner. Quand aux greffes méniscales et autres techniques d’avant garde, j’estime que ce n’est pas de mon domaine, et si une indication me paraît se présenter j’essaie de me tenir au courant pour la confier judicieusement.

M.O. : Dans le cadre de la médecine du tennis, qui est votre spécialité, avez-vous l’impression que les pathologies ont évolué ?

J.P. : C’est une question vaste avec plusieurs volets de réponses. D’abord est-ce que le tennis a changé ? Oh oui ! De façon tout à fait extraordinaire dans de multiples secteurs. Ce ne sont pas les mêmes hommes ni les mêmes femmes qui pratiquent ce sport. Ce n’est pas le même matériel, ce n’est pas la même technique. C’est un sport qui en 30 ans s’est modifié radicalement. Les joueurs se sont morphologiquement modifiés. Cela fait maintenant 35 ans que je fais les visites médicales au niveau de ma ligue du Val de Marne et j’ai vu la transformation de ces petits garçons et de ces petites filles qui sont devenus progressivement des athlètes miniatures. Aujourd’hui le petit bedonnant qui était doué, il n’y en a pratiquement plus. Il y en a toujours un qui passe à travers, mais maintenant ce sont presque tous des athlètes. Quand on teste leurs épaules, leurs poignets, leurs cuisses, on est étonné de la  qualité de leur musculature. Sur une vingtaine d’années les gabarits ont augmenté chez les hommes de 8 ou 9 cm, et chez les filles de plus de 10 cm. Il n’y a plus de joueurs comme on a pu en connaître comme Bertolucci, ou Panata, surdoués mais enrobés, maintenant ce sont des athlètes hors norme. Quand on les voit torse nu, quand ils changent de chemise, il n’y a pas un gramme de graisse. Chez les femmes c’est un petit peu différent. Elles ont gagné beaucoup en taille, au point de vue morphologie certaines restent un peu enveloppées mais globalement sur le plan des performances ce sont des athlètes. Le niveau tennis a lui aussi progressé. Sur 30 ans, Il y a environ quatre années de différence. La petite fille de 12 ans aujourd’hui battrait certainement la jeune fille de 16 ans de l’époque. Ils, elles ont fait des progrès extraordinaires.
Sur une vingtaine d’années le matériel a subi des modifications importantes. Les raquettes en bois ont complètement disparu et maintenant les fabricants sont capables de reproduire à l’identique les cadres. Les joueurs de tennis professionnels ont leurs 6 raquettes quasiment jumelles. Elles sont plus légères puisqu’on est passé à l’ère Borg de 380, presque 400 g, souvent à 320 g. On a perdu du poids et gagné énormément en maniabilité. Ce sont des raquettes qui restent très raides avec des cordages qui se sont  eux aussi modifiés. Ils sont plus rigides et permettent  à la fois de mieux maîtriser la balle et de lui donner des effets faramineux ce qui n’était pas possible avec les précédents cordages. On a évolué vers des mono-filaments qui sont des cordages rigides comparables toutes proportions gardées à du fil de fer.
La technique s’est transformée. C’est sans doute pour cela qu’un Federer a tant d’admirateurs  qui estiment qu’il a le style le plus pur. Il réussit la synthèse entre le tennis ancien et moderne. Ses appuis, ses fins de geste, ses attitudes très différents d’un Monfils ou d’un Nadal et sont compréhensibles des « anciens ».
Le coup droit, contrairement à ce que l’on m’a appris quand j’ai passé le monitorat, est réalisé avec une frappe de face.  Cette technique  facilite une pathologie nouvelle au niveau de la hanche du fait de la rotation interne brutale de la hanche homolatérale.  Chez certains, la hanche peut souffrir de l’âge de 16 ans !!  Le revers à deux mains a été une révolution.  Chez un droitier, du temps de Borg,  la main gauche accompagnait le mouvement. Aujourd’hui, il y a presque 2 mains dominantes !  La main non dominante est capable de donner une impulsion, des angles. Nadal est un droitier qui joue avec la main gauche, c’est l’exemple typique de la main droite, sa main directrice, qui lui permet sur certains revers de placer la balle de manière encore plus précise du fait de cette implication. Cette mobilité des poignets explique nombre de pathologies, notamment celles du compartiment interne du poignet. Elle s’est développée depuis une quinzaine d’années. Avec la prise dite « marteau » le poignet était protégé. Aujourd’hui ce sont des prises très différentes avec des mouvements de poignet extrêmement vifs, puissants. La stabilisation de certains tendons notamment de l’Extensor Carpi Ulnaris n’est plus possible de façon aussi stricte car on lui demande un effort colossal. Sa pathologie est devenue un grand classique. Parfois les modifications de techniques vont être protectrices pour lutter contre des pathologies courantes. Le service compact  est sans doute un élément de prévention des conflits postérieurs de l’épaule décrits par  Walch.

M.O. : On a l’habitude de dire que chez les sportifs de haut niveau, l’acte chirurgical termine la carrière. Est-ce vrai ?

J.P. : Malheureusement, c’est souvent vrai et on a l’impression sans chiffres formels à l’appui que le joueur qui a 20 ans de tennis derrière lui, à l’âge de 26 ans arrive en bout de course surtout s’il est amené à tirer beaucoup sur la mécanique. Le professionnel aujourd’hui commence à pratiquer de façon intense le tennis à l’âge de 8 ans. A 12 ans, les meilleurs jouent 12 à 15 heures par semaine. À 26 ans, le joueur a déjà presque 20 ans de carrière. Parfois, on a l’impression effectivement qu’ils sont un petit peu usés. On pense aux épaules fatiguées aux genoux, aux dos …. qui ont déjà donné. Ils ne sont en règle générale pas très nombreux à pouvoir refaire une carrière après 28 ans s’ils ont été opérés. En ce moment Tommy Haas, qui a été opéré « d’un peu partout », fait exprès de défier les statistiques, et nous fait mentir avec un regain de forme. En règle générale, passé 28 ans il est très compliqué de revenir après une opération, de manière régulière et durable et de se maintenir dans les 40 meilleurs mondiaux pendant une année. Il en va autrement chez les sujets plus jeunes. On a montré que les joueurs de tennis de très haut niveau avaient beaucoup de mal à se maintenir numéro 1 au-delà de trois ans en moyenne même sans opération.

M.O. : Malgré cette présence très importante auprès des sportifs, vous êtes  un aventurier des coins perdus du bout du monde. Racontez nous comment cette passion est arrivée ?

J.P. : Quand j’étais un jeune garçon, mon frère ainé plutôt scientifique aimait la botanique, la nature. Nous avons très vite commencé à collectionner, à chasser des papillons et autres insectes. J’ai passé une partie de mon enfance à collecter,  étaler, étiqueter les papillons puis  à les ranger dans des boîtes. Je suis devenu un entomologiste « éclairé » avec quelques notions de base. Puis les études, le temps m’ont fait délaisser ce superbe passe-temps.  J’ai eu la chance d’avoir une épouse qui a partagé ma passion, brutalement réveillée lors d’un voyage dans le Ventoux. J’ai revu un papillon mythique qui s’appelle l’Apollon et l’émotion un moment endormie s’est réveillée. J’avais 22-23 ans et j’ai entretenu cette passion pour les insectes et les papillons avec au départ « la collectionnite « qui petit à petit s’est transformée. Avec les pesticides, la déforestation je me suis orienté, avec le temps, vers une admiration plus pacifique, contemplative, développant par la même des centres d’intérêt satellites que représentent la passion pour les arbres, les graines tropicales et toutes ces merveilles de la  nature. Cette passion nous a poussés avec mon épouse à « explorer » de nombreux pays du monde, plus ou moins déserts. En dehors des riches contacts de ma profession, les hommes civilisés ne m’attirent pas vraiment.

M.O. : Malgré ces voyages aux quatre coins du monde comment trouvez-vous le temps d’écrire ?

Dans la formation que j’ai pu recevoir de mes ainés et notamment dans l’exemple que m’a donné Demarais, la consultation dans un cabinet ne doit pas être la seule orientation. Il faut systématiquement développer des activités d’enseignement, de publications éventuelles complétées par des ouvrages pas forcément très scientifiques, on  peut dire de vulgarisation, pour lesquels j’ai pris du plaisir car il s’agit pratiquement toujours d’ouvrages collectifs. J’étais souvent amené à faire le plus gros du travail mais j’avais la possibilité de me confronter à d’autres personnalités et de travailler avec eux. Cela représentait un formidable aiguillon qui m’a toujours beaucoup apporté. Il y a eu dans le domaine de l’arthroscopie un bouquin que l’on a commis avec Chassaing en 1984, au début de l’essor de cette formidable technique. Nous avons  passé de longs moments ensemble à rédiger ce livre avec des schémas, des photos, un peu de matière grise. C’était un ouvrage scientifique grâce à la touche de Chassaing, chirurgien dans la clinique. J’ai écrit trois livres sur le tennis qui mêlent je l’espère la technique, la biomécanique, l’expérience et la médecine. Le premier est né de la collaboration avec un cardiologue ami. Les deux autres je les ai fait tout seul mais en interviewant ou en faisant appel pour certains chapitres à des personnalités que j’estimais compétentes ou intéressantes sur des domaines que je maîtrisais moins. Puis, j’ai eu le plaisir de collaborer à plusieurs journaux dont Tennis Magazine auquel je  reste fidèle depuis près de 25 ans. Je continue d’y écrire des articles chaque mois même s’il n’est pas toujours facile de se renouveler. Ce sont des pauses qui me plaisent et m’amusent. En ce qui concerne la médecine ou la chirurgie j’ai profité de ces articles pour améliorer ma formation continue et ce n’est pas sans une pointe d’amusement que j’ai relevé l’évolution des dogmes, certitudes et autres Gold standard.

Que retenir de votre parcours et quels espoirs ou envies ?

J’ai eu la chance inespérée de participer à une aventure professionnelle et humaine. Mon espoir égoïste est de prolonger encore un peu le chemin et de savoir le quitter de la bonne manière et au bon moment.

Mis sur le site avec l’aimable autorisation et collaboration de « Maitrise Orthopédique »